La Vie d'Oyasama selon la vision du temps moderne

III, Temple de Tsukihi

3. « Enlevez cette maison » (La Vie d'Oyasama, p.p.16-19)

Dans le dernier numéro, j'évoquais la destruction de la maison des Nakayama sur l’ordre d'Oyagami. Pour Oyasama, ce démantèlement signifie que la paix du monde ne se réalise pas dans une maison familiale et que cela permet de se détacher du statut social de haut rang dont bénéficiaient les Nakayama pour se rapprocher des personnes les plus démunies. On trouve plus tard les paroles suivantes :

Tant qu'on donne la priorité à la « parenté » dans cette Résidence, le Salut du monde ne peut jamais se réaliser. (Osashizu, le 28 janvier 1891)

La parenté ne vaut rien dans la Voie de Dieu! (Osashizu, le 21 juin 1890)

Comment sauver autrui en ayant demeure avec portail grandiose? Dépouille-toi, dépouille-toi!" (Anecdotes sur la Vie d'Oyasama, No 5.)

Oyasama ordonna le démantèlement étape par étape en commençant par les tuiles du toit du sud-est. Zembei refusa bien entendu d'accepter l'injonction d'Oyasama mais par la suite, elle fut malade pendant vingt jours(1) d’affilée sans pouvoir s'alimenter. Contre l’avis unanime de toute la famille, Zembei finit alors par enlever les tuiles en question puisqu'aucun autre choix ne se présentait à lui pour rétablir la santé d'Oyasama, hormis celui d'accepter le commandement. Pour les autres parties de la maison, la même procédure se déroula : ordre de démolition, refus, altération de la santé d'Oyasama(2), réunion de famille pour empêcher la démolition de la maison avant que les autres finissent par s'incliner à contrecœur.

La dernière épreuve concernait la destruction des murs d'enceinte. En effet, les murs d'enceinte, preuve de fortune, servaient aussi de barrière psychologique sur le plan social étant donné que la famille Nakayama jouissait de privilèges divers en tant que propriétaire d'un vaste domaine agricole. Oyasama ne voulait pas établir de distinction en fonction de la place qu'occupe chaque personne dans la société. Aussi l'enlèvement des murs d'enceinte peut-il signifier qu'elle voulût casser ce symbole de richesse afin de montrer que les protections dont elle voulait faire bénéficier autrui devraient se répandre sans borne et sans exception.

Néanmoins, pour Zembei, ce fut un événement insupportable car un tel acte provoquerait l'anéantissement total de l’héritage familial auquel il tenait tant. Il se trouvait vraiment mis dans l’impossibilité d’agir. Si Zembei ne respectait pas les ordres d'Oyagami, Oyasama retombait dans l’état de souffrance, tandis que, de l’autre côté, les membres de sa famille l’empêchaient de suivre des instructions insensées. Les parents et amis de Zembei voulaient l'aider à défendre sa famille mais du fait qu'il était toujours indécis, ils arrêtèrent de le fréquenter. En effet, il n’arrivait pas à se déterminer à conserver à tout prix les biens familiaux. Il pensait sûrement à la santé d'Oyasama mais est-ce vraiment par amour pour Oyasama qu'il se conforma à la volonté divine ? Cela peut s'expliquer en partie mais pas totalement car la notion de famille était tellement importante à l'époque que la valeur d'une personne ne surclassait point celle d'une famille. Pour garder l'honneur de la maison, il aurait dû la chasser ou l'abandonner. Je pense que sa ferme détermination au moment de la Révélation de donner Miki pour Temple d'Oyagami était tellement forte chez lui qu'il sut, malgré ses réticences, suivre la volonté divine. Ou bien s’en persuader devint chez lui de plus en plus ferme, vivant au fil des années aux côtés d'Oyasama qui manifestait de la singularité dans sa conduite et qui réussit à le rendre progressivement résolu.

Malgré tout, la conviction de Zembei était solide. Encore que la situation fût-elle un supplice pour lui. Il avait quand même tenté auparavant bien des choses pour renverser la situation. Il savait que la famille Nakayama était désormais la risée de tous les villageois en raison d'un mari incapable de maîtriser sa femme. Un soir, un sabre à la main, il se présenta au chevet d'Oyasama qui dormait afin de mettre fin à cette situation calamiteuse. Mais Oyasama se réveilla et cria à son mari « Que fais-tu là ? » « Vraiment, c'est terrible » a-t-il ainsi répondu. Un autre jour, lui et Oyasama, tous deux en habit blanc, firent venir leurs frères pour organiser une cérémonie bouddhiste ayant pour but de chasser le mauvais esprit qui leur semblait hanter la maison d’Oyasama. Évidemment, toutes ces tentatives n'eurent aucun aboutissement mais elles nous font facilement penser qu'il y avait des tensions critiques en permanence chez les Nakayama.

Ce qui me paraît curieux, c'est qu'à mon sens, organiser un tel rite exorciste ne plaisait certainement pas à Oyagami car c'était une preuve de défiance à son égard. Oyasama était déjà le Temple de Tsukihi et le sens de son statut spirituel avait été définitivement mis en place au moment de la Révélation. Mais Oyasama, c'est-à-dire Oyagami accepta de devenir l'objet d'un exorcisme quelconque pour se faire contester par des cérémonies religieuses locales. Là, j'y trouve la quintessence de Tenrikyô. Pendant une cérémonie contestant sa souveraineté, Oyasama leur a expliqué avec douceur qu'Oyagami était bien le vrai Dieu, et que les actes d'Oyasama n'étaient nullement imputables à un renard ou à un tanuki(3). Pour Oyasama, tous les hommes sont ses enfants quoi qu'ils fassent et elle ne repousse pas formellement leurs actes. Elle peut s'adapter à toutes les situations, même à celles qui sembleraient incompatibles avec les desseins d'Oyagami comme dans le cas de rite d'exorcisme. On peut dire qu'elle était passive au départ car elle laissait les gens faire tout ce qu'ils voulaient mais pour elle, la chose la plus importante ne s’altérait pas à cause de rites païens ou de raisons familiales. Elle nous montre ici une grande générosité chère à notre Voie et démontre comment faut-il se comporter face à l'incompréhension des gens vis à vis de Tenrikyô.

À tout moment, Oyagami et Oyasama sont tolérants, patients et prévoient le temps de préparation afin de transmettre leur message. Oyasama a achevé le démantèlement de sa maison en 1853, soit quinze ans après la Révélation en 1838. Cela ne s'est pas réalisé d'un coup mais petit à petit. Ensuite à chaque moment de la démolition, Oyagami attendait toujours que Zembei fût convaincu et qu'il ait fini tout ce qu'il voulait faire. Étroitesse d'esprit, brutalité et intransigeance ne sont pas à l'ordre du jour chez Tenrikyô.

1 Dans la Vie d'Oyasama, le nombre de jours « vingt » n'est pas mentionné tandis qu'il l'est en version japonaise.
2 Oyasama ne pouvait ni voir, ni entendre, ni parler. (Nakayama Yoshikazu, Mon Oyasama 私の教祖, p.242)
3 Au Japon, le renard et le tanuki (chien viverrin) ont la réputation d'être capables de se transformer à volonté (prenant notamment une forme humaine) pour «posséder» les hommes, dans les deux sens du terme. (La Vie d'Oyasama, p.18)

(publié en août 2015 au bulletin trimestriel de Tenrikyô)